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LOYERS COMMERCIAUX ET REDEVANCE D’OCCUPATION DOMANIALE

Etat d’urgence sanitaire :  Point sur la question du paiement des loyers commerciaux

Dans son allocution du 16 mars 2020, le président de la République a annoncé un arsenal de mesures d’aides au bénéfice des entreprises dont la suspension des loyers commerciaux. L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 est venue définir ce dispositif.

Alors que l’annonce était rassurante, la déception a été de taille : les loyers commerciaux dus pendant la période d’urgence sanitaire décrétée du 12 mars au 24 mai 2020 sont simplement reportés. Loin de répondre aux problématiques liées à l’absence de chiffre d’affaires résultant de la fermeture imposée à de nombreux commerce, cette mesure laisse de nombreuses interrogations en suspens. Qui pourra bénéficier de ces mesures et dans quelles conditions ? Quelles voies de recours pour les autres ?

  1. Le report des loyers commerciaux prévu par l’ordonnance 2020-316

S’agissant des bénéficiaires, les mesures annoncées par le gouvernement ne concernent que les baux commerciaux et les baux professionnels des entreprises éligibles au fonds de solidarité, c’est-à-dire les micro-entreprises dont l’effectif est inférieur ou égal à dix salariés, le chiffre d’affaires au titre du dernier exercice clos inférieur à un million d’euros et le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, inférieur ou égal à 60 000 euros. Ces entreprises doivent en outre avoir fait l’objet d’une interdiction d’ouverture au public ou avoir subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 %.

Ainsi, un nombre important d’entreprises est exclu de ce dispositif, notamment celles des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, des activités de plein air, etc., qui vivent des moments particulièrement compliqués.

S’agissant du dispositif, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précise que le non-paiement des échéances de loyers commerciaux pendant la période d’urgence sanitaire majorée de deux mois, soit la période du 12 mars au 24 juillet 2020, ne pourra être sanctionné par le bailleur qui ne pourra pas mettre en œuvre de clause de pénalités financières, d’intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, de clause résolutoire, clause pénale ou toute clause de déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions. Les loyers resteront ainsi bel et bien exigibles et pourront simplement être étalés entre les mois d’aout 2020 et mars 2021, le droit de propriété des bailleurs étant constitutionnellement protégé, ce qui n’a pas permis au gouvernement d’aller au-delà. C’est ce qui explique l’intervention de Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, qui a récemment demandé d’aller plus loin que l’ordonnance en préconisant « l’annulation de trois mois de loyers pour les TPE contraintes de fermer », recommandation à laquelle les principales fédérations de bailleurs se sont fort heureusement ralliées, sous réserve que ce ralliement soit suivi d’effet, ce qui s’appréciera au cas par cas. Ce n’est cependant pas forcément le cas des bailleurs de plus petite taille qui devraient renoncer à des revenus sur lesquels ils comptent légitimement.

Pour la majorité des entreprises, c’est donc dans le droit commun que les éléments de réponse se trouvent.

  1. Le droit commun

La force majeure prévue par l’article 1218 du code civil pourrait être invoquée par les locataires. Le ministre de l’économie et des finances a, en effet, lors de l’annonce du 28 février 2020, considéré que le Covid-19 pouvait être considéré comme tel. La force majeure se définit comme un évènement extérieur aux parties, qui ne pouvait être raisonnablement prévue lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées et empêche l’exécution du contrat. La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible. Ces dispositions pourraient être invoquées par le preneur pour justifier une impossibilité de s’acquitter du loyer prévu au bail.

Toutefois, la jurisprudence interprète généralement de manière restrictive les critères de la force majeure. Si les critères d’extériorité et d’imprévisibilité devraient être considérés comme remplis, le caractère irrésistible et insurmontable de sa situation devra être démontrée par le locataire pour justifier de l’exception d’inexécution qu’il va invoquer en ne payant pas son loyer le temps de la crise sanitaire, ce qui n’est pas évident.

Les locataires pourront également solliciter une révision à la baisse du montant du loyer du bail commercial, sur le fondement de la théorie de l’imprévision prévue à l’article 1195 du code civil. Cependant, la théorie de l’imprévision n’ayant été intégrée dans le code civil qu’à la faveur de l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, elle ne pourra pas être invoquée s’agissant des baux conclus ou renouvelés avant cette date, la jurisprudence l’ayant systématiquement écartée.

Dans les deux cas de la force majeure et de l’imprévision, il conviendra en outre de s’assurer que la mise en œuvre de ces régimes juridiques n’a pas été expressément exclue par le bail. Cette mise en œuvre n’est ainsi pas automatique et implique une analyse détaillée des clauses du bail et des relations contractuelles et de la démonstration du caractère irrésistible de la situation empêchant le règlement des loyers.

Etat d’urgence sanitaire :  Point sur la question des redevances d’occupation du domaine public

Concernant les entreprises exerçant une activité économique sur le domaine public, elles ont bénéficié de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de procédure et d’exécution des contrats publics pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19, précisée par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 en matière de redevance domaniale.

L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 prévoit que les redevances domaniales, qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé, sont suspendues durant la période d’état d’urgence, augmentée de deux mois, c’est-à-dire entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020, et que l’occupant défaillant dans le règlement de sa redevance ne pourra pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif, alignant ainsi le régime des contrats de location des personnes publiques sur celui des personnes privées.

Or, là encore, les occupants du domaine privé et du domaine public des personnes publiques ne seront pas exonérés du règlement de leur redevance mais pourront simplement bénéficier d’un étalement sur huit mois entre août 2020 et mars 2021. Mais comment régler ses loyers lorsque le chiffre d’affaires qui n’a pas pu être réalisé pendant la période de confinement est définitivement perdu ?

Comme les locataires du secteur privé, ceux du secteur public pourront bénéficier de la force majeure sous les réserves indiquées ci-dessus, mais pas toujours de l’imprévision, qui n’est appliquée par le juge administratif qu’aux contrats confiant au cocontractant privé une mission de service public ou d’intérêt général. Là encore, seule une analyse au cas par cas permettra à chaque occupant de connaître ses droits.

Fort heureusement, localement des mesures supplémentaires ont été prises pour accompagner les entreprises touchées par la crise actuelle, de nombreux maires ayant ainsi d’ores et déjà pris la décision d’exonérer les occupants de leurs domaines publics du règlement de toute redevance pour l’année 2020, mesure qui devrait être étendue aux occupants de leur domaine privé.