02
Août

LE CONSEIL D’ÉTAT BOUSCULE LA PRATIQUE DES MANAGEMENT PACKAGES

Dans trois arrêts publiés le 13 juillet dernier (décisions n°428506, 435452, et 437498), la Plénière fiscale du Conseil d’État a largement remis en cause les principes que la pratique croyait désormais établis en matière de requalification en salaire des gains issus de mécanismes de management packages.

En effet, jusqu’à cette date, à la lecture des nombreux avis rendus par le comité de l’abus de droit et des différents arrêts des Cours Administratives d’appel et du Conseil d’État rendus dans ce domaine, la pratique actuelle des management packages considérait assez unanimement que la qualification de plus-value des gains issus de ces mécanismes était certaine lorsque (i) les instruments avaient été souscrits ou acquis pour leur valeur de marché (souvent sur la base d’un rapport d’évaluation pour les instruments complexes), (ii) le manager concerné réalisait un véritable investissement (c’est-à-dire pour un montant non « modique »), et (iii) cet investissement n’était pas garanti, le manager supportant un réel risque de perte.

Une première alerte avait eu lieu lorsque la Cour de Cassation, statuant en matière sociale sur la qualification des gains issus de l’exercice et de la cession de bons de souscriptions d’actions (BSA), avait considéré, que la seule possibilité, offerte à des managers, « d’acquérir et d’exercer les bons de souscription d’actions litigieux constituait un avantage » et que cet avantage, prenant alors sa source dans la relation de travail liant le manager à la société, était assujetti aux cotisations sociales (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 4 avril 2019, Groupe Lucien Barrière).

Cet arrêt, qui laissait supposer que le simple fait que la souscription à des instruments soit réservée à des salariés suffisait pour caractériser la nature salariale des gains, sans qu’il soit besoin de démontrer un avantage à l’entrée (par un prix de souscription préférentiel) ou à la sortie (par un prix de cession préférentiel), avait déjà largement inquiété les praticiens. Il était cependant difficile d’en saisir la portée réelle en matière fiscale.

Rendues aux termes de conclusions communes, les décisions du 13 juillet 2021 portent pour deux d’entre elles sur des cessions de BSA par des dirigeants, et pour la troisième sur la cession d’actions dont l’acquisition résultait de l’exercice d’une option d’achat d’actions consentie à un manager. Les principes qui sous-tendent ces trois décisions sont largement éclairés par les conclusions du rapporteur public.

  1. Les principes posés par les conclusions du rapporteur public

Selon le rapporteur public, en présence de BSA ou d’options d’achat d’actions, avant de s’interroger sur le régime d’imposition d’un avantage ou d’un gain, il convient de l’identifier à chaque étape de la vie de l’investissement.

À cette fin, trois types de gains possibles sont identifiés, aux différents stades de la « vie » du BSA ou de l’option :

  • Lors de l’entrée dans le dispositif de management package (à savoir à la souscription ou à l’acquisition des bons ou des options) ;
  • Lors de l’exercice des bons ou des options ; et
  • Lors de la cession de ces bons ou des actions résultant de l’exercice de ces bons ou de ces options.

 

a. Lors de l’entrée dans le dispositif de management package

Lors de l’entrée dans le dispositif de management package, il est possible de constater un avantage, lorsque le bon est acquis dans des conditions préférentielles.

Le rapporteur public considère, à l’inverse de la position de la Cour de Cassation, que ces conditions préférentielles s’entendent non pas « comme des conditions réservant aux seuls dirigeants ou cadres le privilège de pouvoir acquérir le bon », mais comme des conditions financièrement avantageuses, à savoir une acquisition à titre gratuit ou à un prix préférentiel.

Cet avantage, s’il est caractérisé, s’apprécie à la date ou le manager acquiert le bon et est imposable dans la catégorie des traitements et salaires s’il est également établi « que le caractère préférentiel du prix pratiqué a trouvé sa cause dans la qualité de salarié ou dirigeant du souscripteur et a ainsi eu pour objet de lui conférer un avantage en contrepartie de son travail. »

Sur cet aspect, l’analyse du rapporteur public ne semble pas apporter d’évolution par rapport à l’analyse communément admise par la pratique actuelle des management packages.

b. Lors de l’exercice des bons ou des options (gain d’exercice ou de levée d’option)

Le rapporteur public se penche ensuite sur le gain issu de l’exercice du bon ou de l’option par le manager qui le détient.

Par son principe même, l’exercice d’un BSA ou d’une option fait toujours apparaître un gain, correspondant à la différence positive entre la valeur de l’action acquise en exercice de ce bon ou de cette option et son coût d’exercice. En effet, dans l’hypothèse où le coût d’exercice serait plus élevé que la valeur de l’action, son titulaire s’abstiendrait d’un tel exercice.

Ce gain ainsi défini, « lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié, doit être regardé comme un avantage en argent accordé en sus du salaire, imposable dans la catégorie des traitements et salaires ».

Parmi les circonstances permettant de qualifier un tel rattachement figurent celles « tirées de ce que l’octroi du bon ou de l’option était lié aux fonctions de l’intéressé, que l’exercice du bon ou de l’option est subordonné au maintien pendant une certaine durée de l’intéressé dans l’entreprise, voire à sa présence dans l’entreprise à la date de levée de l’option, ou encore par l’existence d’un lien entre les conditions dans lesquelles l’option est levée (prix d’exercice, quotité) et l’atteinte de certains objectifs de rentabilité ou de résultat. »

Le rapporteur public précise également que ce gain est imposable au titre de l’année de levée de l’option ou de l’exercice du bon, l’imposition de tels gains au titre de l’année de cession étant réservée aux dispositifs légaux d’intéressement des salariés.

c. Lors de la cession de ces bons ou des actions résultant de l’exercice de ces bons ou options (gain de cession)

Finalement, le rapporteur public se penche sur le sort du gain de cession du bon sans qu’il soit exercé ou du gain de cession de l’action acquise en exercice de ces bons.

Concernant ce gain, le rapporteur public pose clairement comme principe l’imposition « selon le régime des plus-values [du] gain net réalisé lors de la cession ultérieure de ces bons ». Ce principe est cependant rapidement atténué par l’affirmation que « sans doute faut-il réserver quelques exceptions au principe du gain d’imposition réalisé lors de la cession d’un BSA dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières. »

Afin d’identifier ces exceptions, il convient de se pencher sur les conditions d’exercice de la plus-value, au premier rang desquelles se trouvent la notion de risque en capital. Contrairement à l’avis de la majorité des commentateurs, issu de la lecture de la jurisprudence du Conseil d’État, le risque en capital ne constitue pas, aux yeux du rapporteur public, une notion à-même de permettre la caractérisation d’un gain imposable dans la catégorie des plus-values.

En effet, pour le rapporteur public, « ce n’est pas l’absence de risque en tant que telle, mais l’intervention de la main de l’employeur dans les conditions de réalisation du gain de cession et la fixation de son prix qui peut modifier la nature du gain ».

Elle prend notamment pour exemple certaines opérations intervenant dans des contextes de LBO où « l’intéressé n’est depuis l’entrée jusqu’à la sortie considéré qu’en tant que dirigeant, sans jamais agir comme un capitaliste gérant son patrimoine, et [où]  le gain de cession lui-même n’apparaît, compte tenu des conditions de sa réalisation organisée par l’employeur et à l’initiative de celui-ci, que comme procédant de la volonté de l’employeur d’attribuer une rémunération complémentaire au dirigeant en rétribution de son travail. »

À titre d’illustration, et de possible grille de lecture, le rapporteur public vise notamment les cas où « la convention d’émission et les pactes conclus stipulent que la faculté de céder et d’exercer les bons est subordonnée à la survenue d’un événement consistant en une mutation portant sur l’intégralité des titres composant le capital de la société, que ces bons sont automatiquement exercés concomitamment à la réalisation de cet événement ou alternativement seront cédés au nouvel acquéreur de la société, que le prix d’exercice des bons, le nombre de bons effectivement exerçables par le manager et le nombre d’actions sous-jacentes pouvant résulter de l’exercice de ces bons seront déterminés en fonction du montant du produit de la cession des parts de la société par les associés, du montant de l’investissement global par les associés et de leur TRI. »

  1. Les arrêts

Reprenant à son compte les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’État rend trois décisions volontairement didactiques, prenant soin de distinguer les trois gains pouvant être générés au cours de la vie d’un BSA ou d’une option d’achat d’actions (gain d’acquisition ou de souscription, gain de levée d’option ou d’exercice et gain de cession), mais néanmoins soumis in fine à la même sanction, celle de l’assimilation à un complément de salaire, dès lors que le gain « trouve essentiellement sa source dans l’exerce par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié » ou a été acquis en « contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant ».

Les deux premières affaires (n°435452 et n°437498) concernent des contribuables ayant cédé des BSA sans les avoir exercés ; le gain de cession généré (différence entre le prix de cession et le prix de souscription des BSA) a été soumis au régime des plus-values sur valeurs mobilières. La troisième affaire (n°428506) concerne quant à elle un contribuable ayant cédé des actions issues d’une option d’achat d’actions levée quelques jours plus tôt ; seul un gain de levée d’option (différence entre le prix de cession et le prix de levée de l’option) a été généré et soumis lui aussi au régime des plus-values sur valeurs mobilières. L’administration fiscale y a cependant vu des gains imposables dans la catégorie des traitements et salaires.

En premier lieu, par un considérant identique à ces trois affaires, le Conseil d’État précise les conséquences (ou plutôt l’absence de conséquences) de l’existence ou non d’un prix préférentiel d’acquisition ou de souscription des instruments.

Le Conseil d’État juge d’abord que lorsque les instruments sont offerts à un prix préférentiel, le gain généré immédiatement à l’entrée constitue un complément de salaire « lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exerce par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié ».

Toutefois, balayant d’un revers de main les arguments des contribuables et par la même occasion tous les acquis issus de la jurisprudence et de la pratique, le Conseil d’État poursuit en affirmant que l’existence d’un prix préférentiel à l’entrée n’a aucun impact sur la détermination du régime d’imposition des gains futurs générés au moment de l’exercice de l’instrument ou de leur cession. En d’autres termes, l’administration fiscale ne pourra pas – théoriquement – se baser sur l’existence d’un prix préférentiel à l’entrée pour qualifier le gain de cession ultérieur de complément de salaire ; symétriquement, le contribuable ne pourra pas arguer du fait que les instruments ont été acquis ou souscrits à une valeur de marché pour éviter la qualification de complément de salaire.

Le Conseil d’État expose en deuxième lieu sa nouvelle grille d’analyse relative à la détermination du régime d’imposition des gains de levée d’option (affaire n°428506) et des gains de cession (affaires n°435452 et n°437498).

Armé de sa nouvelle formule, le Conseil d’État juge qu’un gain de levée d’une option d’achat d’actions (affaire n°428506) est assimilable à un complément de salaire « lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exerce par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié ». Il précise encore que « lorsque l’action est cédée dans des délais tels que sa valeur réelle n’a pas évolué depuis la levée de l’option, l’administration est fondée à imposer l’intégralité de l’écart entre le prix de cession et le prix d’achat majoré précité dans la catégorie des traitements et salaires », situation très fréquente en pratique.

S’agissant de gains de cession afférents à des BSA (affaires n°435452 et n°437498), le Conseil d’État adopte un raisonnement en deux temps, affirmant d’abord que le principe est celui de l’imposition dans la catégorie des plus-values de cession des valeurs mobilières quand bien même l’intéressé serait salarié ou dirigeant de la société dont émane l’instrument, et que ce n’est que par exception qu’il convient d’assimiler ce gain à un complément de salaire dans le cas où « eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant ». Le Conseil d’État précise dans l’affaire n°437498 que cette exception trouve « en particulier » à s’appliquer « lorsque l’intéressé a bénéficié d’un mécanisme lui garantissant, dès l’origine ou ultérieurement, le prix de cession de ce ces bons dans des conditions constituant une contrepartie de l’exercice de ses fonctions de dirigeant ou de salarié. »

Le cadre ainsi posé, le Conseil d’État s’attaque en troisième lieu au fond des affaires, relevant les circonstances permettant, selon lui, de déterminer si le gain « trouve essentiellement sa source dans l’exerce par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié » ou a été acquis en « contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant ».

Dans l’affaire n°435452, le Conseil d’État approuve la Cour administrative d’appel de Versailles qui a jugé que le gain de cession relatif aux BSA avait essentiellement la nature d’un versement à titre incitatif visant à rétribuer le dirigeant pour ses performances et son engagement. Le Conseil d’État relève à ce titre que le pacte d’actionnaires et le contrat de souscription des BSA imposaient de nombreuses obligations au requérant (durée d’engagement, modalités d’exercice de ses fonctions, obligations envers la société, obligation de loyauté et d’exclusivité, engagement de non-concurrence, promesses de leaver, etc.), limitaient ses pouvoirs en tant qu’associé (interdiction temporaire d’aliéner, interdiction d’aliéner en dehors des cas prévus, etc.) et faisaient dépendre la faculté d’exercice des BSA et leur nombre en fonction des performances chiffrées de la société. Dans ces circonstances, le Conseil d’État juge que le gain de cession a été acquis par le contribuable en contrepartie de ses fonctions de dirigeant et donc que la requalification en complément de salaire est justifiée, nonobstant le fait que le contribuable avait également souscrit des actions ordinaires de la société et qu’il avait pris un risque capitalistique en versant le prix de souscription des BSA.

Dans l’affaire n°437498, la Cour administrative d’appel de Paris avait jugé que le gain de cession relatif à des BSA était assimilable à un complément de salaire dès lors (i) que le dirigeant avait bénéficié, après la souscription des BSA, d’une convention d’options croisées d’achat et de vente lui garantissant un prix de cession supérieur au prix de souscription et (ii) que l’émission des BSA était liée à sa fonction de direction. Le Conseil d’État désapprouve toutefois la Cour en ce qu’elle n’a pas cherché si la convention d’options croisées « avait été conclue dans des conditions constituant une contrepartie des fonctions de dirigeant alors exercés » par le requérant, et renvoie l’affaire pour être à nouveau jugée, à la lumière de cette nouvelle grille d’analyse.

Dans l’affaire n°428506, la Cour administrative d’appel de Versailles avait fait droit à l’argumentation du contribuable, estimant que le gain de levée d’option n’était pas assimilable à un complément de salaire quand bien même l’option aurait été levée quelques jours avant la cession des actions, dès lors que le contribuable avait pris un risque capitalistique en versant le prix de souscription de l’option d’achat d’actions. À nouveau, le Conseil d’État désapprouve la Cour qui s’est abstenue de rechercher si le gain « trouvait essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de salarié » et renvoie l’affaire.

En conclusion, il est à ce stade, et sans recul sur l’usage que l’administration fiscale fera de ces arrêts dans les contrôles fiscaux à venir, difficile de mesurer l’ampleur des changements qui devront être apportés aux pratiques actuelles.

On peut cependant retenir les points suivants.

Ces trois arrêts opèrent clairement un resserrement de la jurisprudence par rapport à la jurisprudence antérieure et font peser un risque très important de requalification en salaire des gains résultant des packages existants structurés sous la forme de BSA ou d’options.

Par ailleurs, si aucun des trois arrêts ne porte sur des mécanismes de packages structurés sous forme d’actions (notamment « de préférence »), il nous semble que le raisonnement du rapporteur public repris par le Conseil d’Etat est facilement transposable à ces mécanismes, notamment s’agissant des critères de requalifications des gains de cession. Il conviendra sans doute d’en revoir les mécanismes contractuels (principalement les pactes d’associés et les options d’achat et de vente dites good/bad leaver) pour tenir compte des derniers arrêts rendus par le Conseil d’Etat.

Enfin, il est probable que ces arrêts conduisent à un recours plus généralisé aux outils légaux d’intéressement des salariés au capital, notamment aux plans d’attribution gratuite d’actions. Là encore, et même dans ces cadres légaux, la prudence devra rester de mise dans la rédaction des documents encadrant la détention des actions après leur acquisition.

Thomas Verdeil, Jean Barrouillet, Michel Dayanithi


 

A propos du cabinet Sekri Valentin Zerrouk

Firme indépendante de plus d’une cinquantaine d’avocats, Sekri Valentin Zerrouk (SVZ) conseille des entreprises multinationales, des fonds d’investissement de premier plan, des ETI, PME et entrepreneurs dans le cadre du déploiement de leurs activités commerciales et de leurs opérations d’acquisition, de cession ou de restructuration en France et à l’étranger.

Avec plus de 400 opérations réalisées au cours des 10 dernières années, Sekri Valentin Zerrouk (SVZ) est aujourd’hui l’un des cabinets les plus reconnus en matière transactionnelle.

Les 12 associés sont : Franck Sekri, Pierre-Emmanuel Chevalier, Géraud de Franclieu, Emmanuelle Vicidomini, Sylvain Paillotin et Antoine Haï (Fusions & Acquisitions, Private Equity, Financement, Restructuring), Emeline Peltier (Immobilier), Yamina Zerrouk (Droit Public des Affaires, Urbanisme et Immobilier), Jérôme Assouline et Thomas Verdeil (Droit Fiscal), Emilie Meridjen (Droit Social) et Anne Dumas-L’Hoir (Contentieux des Affaires).