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ETAT D’URGENCE SANITAIRE – ORDONNANCE RELATIVE AUX DELAIS DE PROCEDURE : CONSEQUENCES PRATIQUES EN MATIERE FISCALE

A la suite de la publication de la loi d’urgence du 23 mars dernier, le gouvernement français a publié une première série d’ordonnances visant à faire face à la situation de crise sanitaire.

Parmi elles, l’ordonnance n°2020-306, entrée en vigueur le 26 mars dernier, prévoit l’adaptation des délais de procédure.

Nous vous présentons ci-après les principales mesures et leurs conséquences en matière fiscale.

Mesures générales

a. Définition d’une période de « protection juridique »

Cette ordonnance définit tout d’abord une période de « protection juridique » (selon les termes employés par la Garde des Sceaux), qui s’étend du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

A l’heure actuelle, l’état d’urgence sanitaire étant prévu jusqu’au 24 mai 2020, la période de « protection juridique » s’étend donc du 12 mars au 24 juin 2020.

Cette période de « protection juridique » pourrait cependant être étendue dans l’hypothèse d’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire, prorogation dont la possibilité est prévue dans la loi d’urgence du 23 mars 2020.

b. Report des échéances d’actes tombant pendant la période de « protection juridique »

Dans son article 2, l’ordonnance prévoit que tout acte, prévu par la loi ou le règlement, dont le terme ou l’échéance tomberait pendant la période de « protection juridique » pourra valablement être effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Autrement dit, l’ordonnance permet de considérer comme n’étant pas tardif l’acte qui devait être réalisé pendant la période de « protection juridique » et qui finalement l’est dans le délai supplémentaire imparti.

Ce report a une portée très large dans la mesure où il vise « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque » et qui aurait dû être accompli pendant la période de « protection juridique ».

Ainsi, a contrario, les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 ou au-delà de la période de « protection juridique » ne pourront pas bénéficier de ces reports.

En matière fiscale, ce report est notamment applicable aux actes de procédures devant les juridictions de l’ordre administratif (article 15 de l’ordonnance n°2020-305).

En outre, l’ordonnance exclut de ces mesures de report certains actes, notamment :

  • S’ils se rapportent à l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale ou aux élections régies par le code électoral ; ou
  • S’ils sont prévus par des stipulations contractuelles, et non légales ou réglementaires.

Enfin, l’ordonnance exclut explicitement de cette mesure de report les déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes.

Le gouvernement a justifié cette dernière exclusion par la nécessité de préserver le recouvrement des recettes publiques nécessaires au fonctionnement des services publics et au soutien de l’économie.

c. Prorogation de mesures judiciaires et administratives expirant pendant la période de « protection juridique »

L’article 3 prévoit que certaines mesures judiciaires et administratives verront leur effet prorogé de plein droit pour une durée de 2 mois à compter de l’expiration de la période de « protection juridique » dès lors que leur échéance est intervenue dans cette période, sauf si ces mesures sont levées ou leur terme modifié par l’autorité compétente entre temps.

Sont notamment visées les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation, les mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, ainsi que des autorisations, des permis et des agréments.

Mesures spécifiques en matière administrative

Outre les mesures générales présentées ci-dessus, plusieurs dispositions visent spécifiquement les délais et procédures en matière administrative.

a. Suspension des délais de l’action administrative

L’article 7 de l’ordonnance prévoit que les délais de l’action administrative sont suspendus.

Ainsi, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes administratifs (administrations de l’Etat, collectivités territoriales, établissements publics administratifs, organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale) peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période de « protection juridique ».

En matière fiscale, ces mesures devraient notamment s’appliquer aux délais de réponse accordés à l’administration fiscale dans le cadre de réclamations contentieuses ou de rescrits.

b. Suspension des délais de prescription en matière fiscale arrivant à terme au 31 décembre 2020

L’article 10 suspend pendant la période de « protection juridique » les délais de prescription du droit de reprise de l’administration fiscale arrivant à terme au 31 décembre 2020.

L’ensemble des impôts, droits et taxes est visé par cette suspension du délai de reprise : impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu, TVA et taxes assimilées, impôt directs locaux, droits de mutation à titre gratuit, etc.

Ces délais sont donc en pratique prolongés de la durée correspondante à la période de « protection juridique ». Ainsi, l’administration fiscale disposera d’un délai supplémentaire en 2021 pour exercer son droit de contrôle concernant les impôts et taxes qui auraient, en l’absence de mesure, été prescrits au 31 décembre 2020.

c. Suspension des délais prévus dans le cadre des procédures de contrôle fiscal

L’article 10 suspend également pendant la période de « protection juridique », tant pour le contribuable que pour l’administration fiscale, l’ensemble des délais prévus dans le cadre de la conduite des procédures de contrôle fiscal ainsi que les délais prévus en matière d’instruction sur place des demandes de remboursement de crédits de TVA.

Des dispositions identiques sont prises pour les délais de reprise, de contrôle et de rescrit prévus par le code des douanes.

d. Suspension des délais relatifs aux recouvrement des créances par les comptables publics

Enfin, l’article 11 suspend les délais applicables en matière de recouvrement des créances publiques pendant la durée de « protection juridique » augmentée de 2 mois.

Ces dispositions concernent l’ensemble des créances dont le recouvrement incombe aux comptables publics.

Par Jérôme Assouline et Thomas Verdeil, Associés du département fiscal